Argent et diplomatie nucléaire

L’argent est à prendre au sens chimique et non pas économique du terme, puisqu’il fait ici référence à l’un des éléments utilisés dans les centrales nucléaires pour contrôler les réactions en chaîne.

Le 24 février dernier, la Russie franchissait de nouveau le sol ukrainien. Hier (3 mars 2022), le Kremlin a officiellement annoncé chercher « la prise de contrôle totale du pays »; et c’est ce qui a mené Paris à affirmer, par voie de presse, que « le pire est à venir » (Source : France Info, 3 mars 2022). Comme pour donner plus de poids à cette prédiction, il a été fait état ce matin d’une attaque russe sur la plus grosse centrale nucléaire du vieux continent; la centrale de Zaporizhzhia. Les russes en auraient d’ailleurs prit le contrôle; et un incendie dans un de ses bâtiments annexes aurait dû être maîtrisé par les pompiers ukrainiens…

Si l’ombre d’une catastrophe nucléaire, volontaire ou accidentelle, plane sur le monde depuis l’invention de la bombe atomique, il est peut-être plus difficile de l’ignorer aujourd’hui (jusqu'au prochain oubli). Je ne pense pas qu’il soit inapproprié de dire que le risque d’un tel événément a considérablement augmenté ces derniers jours. Mais c’est une chose de constater l’augmentation du risque et une autre de décider de la manière d’y réagir.

Aujourd’hui, la plupart des personnalités politiques opposent avec gravité deux voies : celle de la diplomatie et celle de la guerre totale (comprendre guerre nucléaire). Si les dichotomies du sens commun sont souvent de faux dilemmes et omettent des voies plus « exotiques » (mais pas moins probables), supposons cette opposition de possibilités comme vraie. Que choisir ? Question bête j’imagine…

Dans la bouche de certains politiciens, la diplomatie est entendue comme synonyme de paix, alors qu’elle en serait en fait le vecteur. La voie diplomatique nécessite évidemment de ne pas vouloir la guerre. Mais également, si elle se veut efficace, la conjonction de comportements que l’on pourrait rassembler sous des concepts qui peuvent se chevaucher, comme : la transparence (impliquant l’authenticité et la bonne foi), le dialogue (impliquant prise et transmission d’informations), la représentativité (impliquant un positionnement en termes d’intérêts, d’objectifs…)...

De ce point de vue, la voie de la guerre engloberait tous les comportements qui ne seraient pas une conjonction des précédents : on peut ne pas vouloir la guerre mais ne pas savoir dialoguer; être transparent dans le fait qu’on souhaite la guerre; ne pas se positionner par indifférence tout en ne souhaitant pas la guerre; etc. Certains tenants de cette voie s’ignorent. Parmi eux, et de manière non exhaistive, des partisans de la dissuasion nucléaire, de la livraison d’armes à l’Ukraine, ou encore de l’arrêt des échanges verbaux avec Poutine. Concernant la dissuasion, mettons de côté les arguments du type « la dissuasion nucléaire a toujours fonctionné, donc c’est une solution efficace » car ils reposent sur un raisonnement fallacieux de type post hoc ergo propter hoc (cf La guerre qui ne peut pas avoir lieu de Jean-Pierre Dupuy pour d’autres erreurs logiques autour de la question). Que reste-t-il pour sa défense? Des raisons principalement psychologiques : « personne ne peut être assez fou pour se suicider avec le reste du monde »; « la menace d’une destruction mutuelle empêche quiconque de faire le premier pas »; … Dis comme ça, difficile de voir une règle psychologique universelle. Car il suffirait d’un fou « inattendu » pour mettre ces hypothèses à rude épreuve. Personnellement, je ne parierais pas sur l’inexistence d’un tel individu. Et vous ? En réalité, aucune méthode ne nous permet d’établir une quelconque relation de causalité entre la dissuasion et l’absence de guerre nucléaire. Le futur nous le dira peut-être. En ce qui concerne la livraison d’armes à l’Ukraine, je ne vois aucune piste sérieuse qui permettrait d’affirmer que le risque de guerre en serait diminué. Au mieux, il resterait inchangé. (En réalité, j’en vois bien quelques unes, mais je suis un peu fainéant pour réorganiser cette suite d’idées déjà bien avancée… Je reste ouvert aux remarques!) La rupture du dialogue, même s’il est asymétrique (un des interlocuteurs ne joue pas forcément le jeu), nous placerait dans une situation de perte de contrôle vis-à-vis de ce que l’interlocuteur s’imagine de ce que nous pensons/souhaitons/faisons. Bien qu’il puisse ne pas faire confiance dans les situations d’échange, cette perte de contrôle est quasi-certaine sans dialogue.

Pour avancer un peu, il semble délicat de désamorcer la situation, mais nous n’avons pas de preuve que ce soit impossible. Quelle stratégie appliquée ? La diplomatie, au sens proposé dans ce court billet, est peut-être la voie la plus « sage » au regard du problème nucléaire; mais elle n’inclue pas nécessairement la paix, et elle n’est pas forcément la meilleure option selon les problèmes qu’on visualise. En d’autres termes, si la voie diplomatique dont je parle n’est axée que sur l’évitement d’une guerre nucléaire, j’ai conscience que cette dernière n’est qu’une partie du problème (bon… un gros problème quand même). Et puis, des stratégies à court et à long termes s’opposent : intervenir immédiatement pour sauver des vies en mettant potentiellement à mal la survie du monde sur un temps plus long; ne pas intervenir et laisser mourir des milliers de personnes pour en sauver d’autres; etc. Les enjeux politiques se jouent à plusieurs… Et c’est le rôle de certains de nos politiciens de décider. Notre rôle est de bien les choisir…

Bref, j’espère que ces quelques idées écrites à la va-vite ne sont pas trop désordonnées. Si tel est le cas je m’en excuse auprès de quiconque s’y serait intéressé. À mes yeux en tout cas, et dans ce contexte, le parallèle entre chimie et politique — entre argent et diplomatie — semble plus pertinent qu’il n’y paraît.

chessgitxmppbookswallet